Vincent Van Gogh (Insoumis) + Nouvelle gratuite! (Le pays de mes rêves)

Une fois de plus, mes lectures quotidiennes font jaillir quelques idées. Cette fois, je m’en remets à Vincent Van Gogh, insoumis à ses heures… Aussi, je vous soumets une nouvelle de mon cru qui fait suite à l’idée évoquée par Van Gogh. Bonne lecture!
A son frère Théo
Sans date,
« Tu me demandes des nouvelles de ma santé; mes malaises de l’an dernier ont complètement disparu, mais je suis déprimé pour l’instant. A d’autres moments, – lorsque mon travail avance – je me sens dispos. Je suis comme un soldat qui ne se sent guère à sa place au cachot et se demande : Pourquoi m’avoir enfermé dans ce trou, alors que je serais mieux à ma place dans les rangs?
Quelque chose me pèse, car je sens en moi une force que les circonstances ne me permettent pas de développer normalement; la conséquence en est que je suis souvent malheureux. Je suis le théâtre d’une lutte intérieure : je ne sais plus ce que je dois faire. Le problème n’est pas aussi facile à résoudre qu’il le paraît au premier abord.
Des hommes du genre « employé » qui ne seraient pas montés à la surface à une époque difficile mais noble, arrivent à s’imposer. C’est ce que Zola appelle le triomphe de la médiocrité. Des crétins et des nullités occupent la place des travailleurs, des penseurs et des artistes, et l’on ne s’en aperçoit même pas.
Le public, oui, il est mécontent à certains égards, mais il applaudit quand même au spectacle de la réussite matérielle. Il ne faut pourtant pas oublier que ces applaudissements-là ne sont que feu de paille; ceux qui applaudissent aiment surtout faire du bruit.
Il y aura un grand vide et un véritable silence, le lendemain de fête, et beaucoup d’apathie après tout ce tintamarre. »
in Vincent Van Gogh : Lettres à son frère Théo – (c) Editions Gallimard, 1956 (traduit du néerlandais par Louis Roëdlant)
Je n’ai aucun commentaire à ajouter mais plutôt une proposition qui, toute symbolique qu’elle soit, me tient à cœur. Afin de ne pas faire partie du public qui applaudit quand même au spectacle de la réussite matérielle, nous pouvons déjà – et ceci peut devenir un jeu (je vous l’assure, je m’en amuse chaque jour) – délibérément détourner le regard lorsque nous voyons passer de grosses cylindrées. Ceci m’amène à vous faire une autre proposition indécente; je vous propose de lire une nouvelle que j’ai écrite l’année passée dans le cadre d’un concours en Belgique (il s’agissait, pour celui-ci, de décrire le pays de ses rêves). Celle-ci traite justement du même sujet et, je l’espère, pourra vous caresser l’esprit. N’hésitez pas à me laisser vos commentaires; ça m’intéresse.
Lettres lourdes pour l’être léger :
Sans frontière. Un pays qui s’étendrait aux confins du monde ; sorte de pandiculation géographique dont la torpeur intrinsèque se laisserait taquiner par quelques sommets accidentés assaillis par des tempêtes de neige obstinées et se consolerait en déambulant au beau milieu d’interminables étendues d’herbe folle et dodue parsemées de bourgs et de bourgades habités par des populations variées et paisibles.
Par dépit, nécessité ou par hasard, tous les habitants de ce pays planétaire auraient été atteints d’une prise de conscience généralisée. Lassés par une existence jusque-là régie par l’omnipotence d’une poignée de sybarites capricieux, ils se seraient finalement affranchis et auraient mis en place un modèle de société basé sur des valeurs immatérielles tel le respect, l’humilité, l’accomplissement personnel et intellectuel, la compassion, la solidarité, la préservation de l’environnement, la simplicité, l’amour
Cette révolution des mentalités aurait vu le jour sans heurts. Elle aurait pu se traduire par un désintérêt soudain pour toute forme de puissance, de lucre ou de signe extérieur de richesse.
Au début, par exemple, certains auraient détourné le regard au passage des rutilantes voitures de luxe qui, pourtant, s’étaient habituées à hypnotiser les foules. D’autres, amusés par cette singulière et inoffensive réaction subversive, auraient pris le relais jusqu’à ce que tout le monde se passe le mot ; si bien que les possesseurs de tels véhicules n’auraient plus pu goûter à la saveur apparemment exquise de la jalousie. Ils auraient cessé de parader dans de tels carrosses et, petit à petit, les auraient délaissés pour trouver ailleurs une quelconque source de reconnaissance. Cet exemple concret se serait alors décliné dans tous les domaines de l’existence familière, minable et matérialiste qui aurait sévi jusqu’alors.
Par une thaumaturgie improbable, l’être humain aurait peut-être compris que toute la grâce, la délicatesse, la féerie, la poésie, l’élégance, la majesté, la richesse, les délices et les joies de l’univers se trouvent simplement au creux de la main. Qu’il n’est pas indispensable de s’élancer dans une course effrénée pour attraper l’insaisissable mais qu’il gît, affleure et palpite juste devant soi et surtout en soi. Qu’il s’agit de le cultiver avec patience pour enfin le cueillir et le modeler à l’envi pour faire vibrer la harpe de la volupté. Que parcourir la terre de long en large et le plus vite possible pour être sûr de ne rien rater ou pour prétendre trouver l’introuvable n’est en rien une finalité dès lors que le coeur est aride et la tête vide. Que les plus merveilleux paysages sommeillent dans les limbes de la pensée et qu’ils s’impatientent de n’être réveillés par les esprits paresseux. Ou que, même par jeu, il est possible de les voir éclore des tréfonds d’une lézarde qui se hasarde sur un mur. Que cette logique s’applique à tout à partir du moment où l’être consent à dompter ses instincts les plus morbides. Que son appétit insatiable de nourriture, d’espace, de possessions ou de pouvoir sont source de frustration inconsolable car, en se laissant dominer par sa gourmandise, il ne peut jamais s’arrêter d’exiger davantage et que vouloir tout tout de suite n’est qu’un mirage dont les reflets trompeurs n’offrent que rien tout le temps. Aussi, en plus de cette lancinante frustration, cette logique de voracité maladive, pourtant propre à la condition humaine, est une source intarissable d’ignominies et d’horreurs inqualifiables. Que de celle-ci jaillissent la cupidité la plus éhontée, la domination de ses semblables, les jeux vicieux de pouvoir et tout leur corollaire de guerres sanglantes, la jalousie escortée par la violence et le sentiment d’insécurité, le pillage immodéré des ressources naturelles et le viol d’une terre presque stérile, le droit de brider les rêves de ses congénères en institutionnalisant un modèle d’existence insipide à l’aide d’une pression sociale culpabilisante lourde de conséquences et d’une répression sévère destinée aux électrons libres incapables de suivre le troupeau docile
tout ceci dans le seul but de permettre aux quelques gloutons les plus tristes et les plus redoutables d’assouvir leurs besoins les plus vulgaires enrobés d’un prestige et d’une forfanterie de pacotille. Il saurait également qu’il aurait beau avoir compris beaucoup de choses, il ne devrait pour autant s’abstenir de remettre en question ses pensées, quitte à ébranler ou à faire vaciller celles qu’il aurait érigées en vérités indubitables et, surtout, qu’une suite de que suivis d’affirmations peut rapidement devenir le terreau nauséabond de la dictature. Mais, dans ce pays utopique, aucun homme n’aurait à mettre à plat un enchaînement aussi fastidieux de mots car ces considérations seraient innées.
Ils prendraient plutôt le temps d’extraire de la vie sa quintessence aux parfums enivrants de l’émerveillement. La créativité et l’imagination, au lieu de se vautrer et de patauger dans les profonds marécages d’une course à la réussite, feraient partie de leur hygiène de vie et deviendraient source de joie et d’élévation de l’esprit. En effet, ils prendraient le temps à pleines mains. Sans réserve. Pour vivre. Simplement.
Les évolutions des siècles précédents seraient, pour la plupart, tombées en désuétude. Seules celles considérées comme vitales ou indispensables auraient été conservées afin de permettre à tous les habitants de subvenir à leurs besoins élémentaires. En effet, tous les citoyens se seraient indignés des pratiques économiques du monde d’avant qui permettait à une minorité de gaspiller à outrance pendant que le reste de la population s’inquiétait chaque jour du sort réservé à son estomac. La nouvelle manière de gérer avec parcimonie les moyens de production, dont la majorité ne requérraient plus l’aliénation forcée de l’homme par un travail quotidien, harassant et répétitif, permettrait à chacun de ne plus se soucier du tyran qu’est le ventre qui tiraille et ceci avec un souci constant de rendre à la nature ce qu’elle offrirait encore en replantant ce qui aurait été cueilli. Le développement de la société aurait radicalement ralenti puisque le désir d’être moderne à tout prix aurait définitivement été enterré au profit d’une vision à long terme dont la préoccupation principale serait de permettre aux générations futures de retrouver la terre dans le même état que celui dont les habitants de chaque génération auraient pu jouir.
Aussi, outre la révolution de l’esprit, l’amour ou, plutôt, la recherche constante de la capacité réelle d’aimer serait devenu l’obsession majeure de cette nouvelle société. Et cette recherche serait née d’une seconde prise de conscience plus fondamentale encore que la première. Celle-ci se serait basée sur le principe simpliste mais réaliste que chacun, confronté depuis sa plus tendre enfance à un monde relativement hostile, troublant, déroutant et angoissant, serait, tout au long de sa vie, à la quête éperdue d’un amour compassionnel intense et libérateur. Cependant, pour la plupart, par timidité, maladresse ou paresse, les hommes attendraient cet amour puissant et ardent comme ils attendraient le train sur le quai d’une gare désaffectée ; sans bouger, sans agir et sans se demander si d’autres se trouvent sur un quai similaire à rêver, à leur tour d’un amour qu’ils sont incapables de donner. Cette idée prise en considération, ils s’efforceraient, lentement mais avec détermination, de tisser l’étoffe d’un amour universel capable de rassasier notre besoin de consolation.
Cependant, aussi séduisant soit-il pour moi, le pays de mes rêves a beau bouillonner chaque jour dans les vagues de mon âme, demain je prendrai à nouveau le tram en bronchant à peine et j’y croiserai de grises mines (derrière lesquelles se dessinent peut-être un pays idyllique) qui, par leur affligeante posture, déteindront finalement sur moi. Je descendrai du tram pour monter au bureau où je verrai d’autres visages auxquels j’adresserai un bonjour poli à l’enthousiasme emprunté pour enfin m’asseoir derrière un écran d’ordinateur à la poésie douteuse sur lequel défileront des ordres de Bourse insolents qui ne feront que renforcer la tyrannie des marchés et le totalitarisme insidieux des marchands de tapis cravatés
Mais le soir, en sortant, je m’accaparerai une miette du pays de mes rêves en levant les yeux au ciel dès que je croiserai une grosse cylindrée !
Et vous ?
(c) 2006 by AKR a.k.a. Ornorm
Bonjour
j’ai beaucoup aimé.
j’ai écrit une, deux nouvelles qui tentent aussi d’ouvrir les consciences, j’aimerai en lire plus et pourquoi pas échanger nos écrits.
merci déjà pour celle-ci